Les 129 critiques de Jean-Marc Lernould sur Bd Paradisio...

C’est glauque comme l’amas de crocos qui grouillent en couverture, et triste à pleurer comme le nom du ranch où se déroulent de sinistres évènements, Perdition. La propriété australienne d’une caricature de salaud raciste, capable de donner des aborigènes en pâture à ses cochons. Connors a pour bras droit Bruce, homme de main à peu près aussi pourri et qui se ferait bien la fille de son patron, la blonde et jolie Angie. Manque de chance, celle-ci a une liaison avec un jeune aborigène, Mayaw, ce qui va profondément agacer nos crétins de blancs, inévitablement, la fuite des deux amoureux va entraîner la chasse à l’homme, avec, après la tempête, des paysages désertiques pour décor et des bourgades désolées où ne vivent que des rustres.

A la fois western aux antipodes et road movie désespéré ce « Back to Perdition » ( Marie et Vanders ont dernièrement excellé avec « Welcome to hope », aussi sordide que bien menée) première partie, offre un récit serré et impitoyable, étoffé par un excellent graphisme de Vanders, lui-même relevé par les couleurs de Cyril Saint-Blancat, notamment lorsque l’orage gronde. La suite et fin est attendue avec impatience avec le tome 2.
Jeronimus T. 3 (Jeronimus) par Jean-Marc Lernould
C’est la fin (effectivement terrifiante comme le vante un autocollant apposé sur la couverture) du somptueux récit concocté chez Futuropolis par le duo Dabitch/Pendanx, qui nous habituent à l’excellence, déjà présente au fil des pages d’ « Abdallahi ». En trois tomes étoffés (près de 80 pages chacun) les deux auteurs ont peaufiné un récit somptueux à partir d’un fait réel, donnant un caractère d’universalité à ce qui n’aurait pu demeurer qu’une tragique anecdote historique.

Au dix-septième siècle, Jeronimus fait office de pharmacien dans une ville des Provinces Unies (grosso modo la Belgique et les Pays bas actuels), mais, hérétique et accusé de pratiquer la sorcellerie, il se résout à l’exil en s’embarquant sur un navire de la puissante Compagnie des Indes Orientales. Le long et épuisant périple de ce bateau, parti pour les mers du Sud, est un condensé des souffrances humaines et un révélateur de toutes les perversions, et s’achève d’abord sur une mutinerie, puis par un désastreux naufrage sur des îlots désolés, au large de l’Australie. C’est là que va se dénouer l’histoire de Jeronimus, qui prend la tête de quelques dizaines de rescapés, hommes et femmes, mais qui se mue en véritable tyran, dans une folie semblable à celle d’Aguirre. La moindre opposition est résolue par l’assassinat, on achève les malades, bouches devenues inutiles, on viole les femmes. Jeronimus personnifie la tyrannie, incarne cet étrange cheminement qui fait qu’un homme ordinaire prend un tel ascendant psychologique qu’il devient maître de l’univers, même s’il se réduit à un misérable bout de sable.

Déjà forte en elle-même, cette histoire est transcendée par Dabitch et Pendanx, par un découpage inexorable et minutieux, par un graphisme qui fait de chaque case un tableau. Une recherche que l’on va jusqu’à retrouver dans les ombres de la quatrième de couverture : c’est sublime, de la première à la dernière page.
Inch'Allah (L'or et le sang) par Jean-Marc Lernould
On n’ira pas à dire comme le dossier de presse, qu’il s’agit d’une « grande aventure dans la lignée de Lawrence d’Arabie », mais la série éditée par 12 Bis est tout à fait sympathique, menée par un quatuor d’auteurs : Marin Defrance et Fabien Nury au scénario, Fabien Bedouel et Merwan au dessin, sans compter Romain Trystam pour la couleur.

Le récit suit la soif d’aventure qui prend deux personnages à l’aube du vingtième siècle. Léon Matilo, truand corse, s’est acoquiné à l’aristocrate Calixte de Prampéand, un duo qui après la Grande Guerre ne se fait plus trop d’illusion sur le genre humain et décide de larguer les amarres au sens propre, en se lançant à bord d’un voilier dans la contrebande d’armes. Destination Tanger et l’Afrique du Nord, où les deux compères espèrent fourguer leur cargaison aux indigènes qui livrent une guerre d’indépendance face aux colons espagnols, mais on ne s’improvise pas marchand d’armes comme cela, d’autant que la situation politique locale s’avère plus complexe que prévue. Et pourtant nos deux bras cassés pourraient -à leur corps défendant- passer pour des héros de l’indépendance.

« L’Or et le sang » propose de l’humour dans un contexte peu connu, celui du Rif soumis à la domination espagnole et enjeu européen. Le dessin, à l’encrage très appuyé, est très stylisé, ce qui contribue à sortir cette série du lot. Série dont le troisième tome se poursuivra dans le Djebel.
La vallée perdue (Kraa) par Jean-Marc Lernould
Au début du vingtième siècle, dans le grand Nord, dans une contrée située entre l’Alaska et la Sibérie, une vallée perdue n’est habitée que par une poignée d’Indiens. Mais la civilisation pousse sa corne et attise les ambitions d’individus, d’autant que le sous-sol regorge de matières premières. De brillants ingénieurs proposent de noyer cette vallée pour construire un barrage et disposer de l’énergie nécessaire à leurs projets, appuyés par le maire et d’autres rapaces, dans l’esprit d’une seconde ruée vers l’or. Leurs hommes de main sont plutôt expéditifs, et massacrent la famille du jeune Yuma.

En parallèle, l’aiglon Kraa, privé lui aussi de ses parents, grandit et démontre des pouvoirs surpuissants, n’hésitant pas à trucider loups et même les hommes qui s’introduisent dans la vallée, son domaine. Kraa et Yuma ont la particularité de communier entre eux par un genre de télépathie qui tient du chamanisme, et qui révèle de façon sous-jacente un culte très ancien qui l’aigle et les Indiens. Et les deux vont conjuguer leurs efforts pour se venger.

Sokal reprend un animal pour héro, mais de façon réaliste, à la différence du privé Canardo, et « Kraa » s’affiche dans la veine de « Paradise ». Un réalisme qui n’empêche pas le fantastique, et l’aigle a parfois des allures d’Horus tel que l’a dessiné Bilal dans sa série Nikopol. Les paysages sont d’une beauté sublime (Sokal déclare qu’il a envie « de nature et de grand air ») , et les actions respirent le mouvement avec un crayonné nerveux. C’est du grand Sokal, et on comprend qu’il a un petit peu mis la pédale douce sur le dernier Canardo.
Episode 1 (Acqua alta) par Jean-Marc Lernould
Le dessin, l’ambiance, indéniablement, vous rappelleront une autre aventure, aussi étrange que « Acqua Alta ». L’influence est revendiquée, accompagnée même, puisque Daria Schmitt a vu son travail accompagné par François Schuiten, inventeur de cités obscures. Un superbe parrainage pour cette dessinatrice qui en est à sa première BD, et un parallèle non usurpé car le trait et l’œuvre sont superbes.

L’étrangeté saute aux yeux lorsqu’un improbable dirigeable achemine une curieuse société d’appariteurs, chargés d’organisé le carnaval traditionnel d’une non moins improbable cité, Acqua Alta. La ville ne se livre aux visiteurs que lors de ces festivités, et ceux qui auront le bonheur d’être tirés au sort pourront demeurer dans cette utopie urbaine qui ressemble à Venise comme deux gouttes d’eau. Tout est paré pour la cérémonie semble-t-il, mais voilà que deux de ces appariteurs sont chargés d’une commande : convoyer vers Acqua Alta une boîte à remettre en mais propres au maire. Sauf que la boîte en question est capricieuse et grossit comme la grenouille de la fable. Jetée à la mer avec ses deux porteurs, elle finira par rejoindre la cité où elle sèmera le trouble, telle le fameux parallélépipède qui envahit justement l’urbanisme de Schuiten.

acqua 1.jpgLa ville se noie, les eaux s’engouffrent dans ses canaux labyrinthiques tandis que les différents pouvoirs se déchirent, et que de drôles de personnages traversent le décor, comme un non sens organisé. Daria Schmitt ne cite pas Fred et son Philémon, mais on n’est pas loin non plus de la quête du « A » et de non sens.

Chacun tirera sa morale de cette fable, très elliptique, mais l’auteur a posé la première pierre d’une œuvre qui, on l’espère, s’élèvera aussi haut que la Tour. Saluons aussi Casterman qui publie en même temps les deux tomes de cette histoire complète.
« Dieu que la guerre est belle »… Mon œil! La « Grande », celle de 14-18, n’est qu’un sordide décor d’une intrigue policière que doit dénouer le gendarme Roland Vialatte, propulsé de son confortable village provincial vers les premières lignes du front, là où on s’étripe légalement -bellicisme oblige- et sournoisement, puisque l’on retrouve aussi près des tranchées des cadavres de femmes mutilées qui portent la trace d’un tueur en série. Difficile pour l’enquêteur d’identifier le ou les criminels, alors que dans la cour des casernes improvisées, il règne certains blancs lorsque l’on fait l’appel des survivants. L’inspecteur est un lettré, un intellectuel qui doit partager la boue et le sang d’une escouade de repris de justice, tous désignés comme tueurs sanguinaires, bien pratiques pour découper du boche. Mais s’il s’avérait que leur abattoir déborde de la zone barbelée, cela ferait désordre, surtout s’il s’agit de « faibles femmes ».

En attendant le dénouement -et vraisemblablement les rebondissements- du troisième et dernier tome, Kris et Maël nous enfoncent un peu plus dans la fange de cette guerre où l’on prie en vain dans des églises en ruine. Le traitement des couleurs, proche du monochrome, renforce la véracité de l’histoire de ces hommes pris dans la tourmente, avec cependant une approche individuelle de l’horreur et des espoirs anéantis.

Pour ceux qui sont séduits par ce fondu-déchaîné de guerre et d’intrigue policière, je ne peux que conseiller le livre de Patrick Pécherot, « Tranchecaille » (Gallimard), très proche de l’esprit de « Notre mère la guerre », et qui a d’ailleurs obtenu le trophée 813 2009
Mourir d'aimer (Le zouave) par Jean-Marc Lernould
Semi déception en lisant cet album. Certaines cases et le décor du Mexique coincé entre les révolutionnaires juaristes et les troupes de Napoléon II peuvent rappeler le travail de Ferrandez autour de l’Algérie, mais force est de reconnaître que la comparaison est au détriment du « Zouave ». D’abord la faute à un scénario décousu, où on ne sait plus très bien qui fait quoi, avec des blancs étonnants entre certains épisodes. Quant au contexte historique, il est balbutiant dans ce premier tome, sans mise en perspective, d’autant que les histoires annexes (crime à Paris, amour dans la sierra) tournent court et s’intègrent plutôt mal au récit. On pourrait se rattraper sur les dessins et croquis de l’un de ces zouaves, mais cela donne aussi l’impression de pièces rapportées, sans faire avancer cette histoire. Le dessin d’Ersel est pourtant honnête, mais l’ensemble galvaude un contexte historique assez peu abordé et manque singulièrement de densité humaine. On en reste à un corps expéditionnaire français largué au Mexique, sans mise en perspective de la période. Quant aux planches entières lettrées en espagnol et sous-titrées en français et en bas de page, on aurait pu en faire l’économie. Le bel anniversaire des 40 ans de Glénat, c’est déjà du passé?
C’est la fin de cycle pour les «Corsaires», où l’on révèle le vrai visage d’Alcibiade, présentée au départ comme une organisation au service de la Couronne d’Angleterre, dotée de moyens qui ridiculiserait le capitaine Nemo. Cet ultime volume est donc censé démêler l’écheveau compliqué d’intrigues imaginées par le scénariste Filippi, mais on se demande si l’auteur a réellement su se défaire de ce noeux. On finit par s’y perdre au sein des péripéties multiples, en oubliant la simplicité de base qui fait une bonne histoire. Et cette complexité entraîne évidement un bavardage et des explications qui finissent par étouffer le dessin somptueux de Liberge. La double page 18-19 contient la bagatelle de 26 cases, ce qui donne envie d’ouvrir la fenêtre pour respirer un coup. Éric Liberge, lors d’une dédicace sur le tome 3, confiait d’ailleurs qu’il lui tardait de retrouver son autonomie d’auteur.

Faut-il pour autant jeter cette série au feu ? Certainement pas, car elle contient des éléments attachants, notamment quelques machineries extravagantes, et de biens jolies héroïnes…
Les amants de Sylvia par Jean-Marc Lernould
« On tend à considérer le destin comme un engrenage sensible dont la moindre faille pourrait changer le cours. Or, celui de Trotsky était scellé sous vide. […] Rien ne peut arrêter une métastase qui élimine les ennemis et sacrifie les amis. Il n’y avait pas de place pour le hasard. » Ces mots sont de Gani Jakupi, qui à la fin de son magnifique album décortique son enquête autour de l’assassinat du paria soviétique. Assassinat et non pas meurtre, car tout était prémédité de longue date, non que Trotsky représentait après sa disgrâce une réelle menace, mais parce ce que son élimination spectaculaire signifiait au monde entier la capacité de nuisance de l’encore jeune URSS. Une nation dont le bras armé, le NKVD, frappait alors n’importe où et éliminait la moindre dissidence.


Mais au-delà de l’intrigue et du propos -la préparation de l’assassinat de Trotsky- Gani Jakupi décrit les arts et les mœurs des années trente avec une finesse et une sensualité incroyables. L’utilisation des couleurs est l’un des atouts de l’auteur et démontre un bagage pictural indéniable, de même qu’apparaissent des images sans rapport apparent avec le récit, mais qui matérialisent le Paris ou le Mexique de l’époque. Il n’y a pas une virgule de texte, pas un trait de crayon qui ne soient mûrement réfléchis et pesés dans ce livre admirable : « Il n’y avait pas de place pour le hasard » …

Enfin et surtout, retirez de la couverture l’autocollant racoleur « Quand Staline inventait l’amour assassin » : il gâche un sublime dessin.
Nous, lecteurs, méritions peut-être davantage, à voir, de dos, ce joli corset qui déshabille une jolie brune. Mais quand on enlève le fard, et qui plus est la lingerie, force est de constater qu’une fois démaquillé par un regard inquisiteur, l’album souffre de péchés de jeunesse.
Tout aurait pourtant pu bien commencer, en installant une histoire dans le Vienne de 1900. Le hic, c’est le procédé : utiliser à l’envers le point de départ du film sublime « My Fair Lady », à savoir que deux crétins de riches branleurs parient pour savoir si d’une gouailleuse des rues, on pourra faire une femme du monde. Dans le cas présent, nos deux fortunés s’imaginent de transformer un gentil et pauvre gosse, qui lui aussi bat le pavé, en une sorte d’œuvre d’art du crime. Bonjour l’originalité.
S’il n’y avait que cela. Nos deux démiurges traversent également l’art de leur époque, dont le mouvement passé à la postérité avec des peintres tels que Schiele ou Klimt. Or, ce mouvement, la « Sécession », en réaction avec l'art académique de l'époque, n’apparaît que comme un vague décor, toile de fond d’une intrigue sans caractère. Le dessin, lui aussi caricatural, aurait pu donner de l’envergure au récit, en imposant le Vienne de 1900. Mais non. « L’Assassin qu’elle mérite » n’est pas une mauvaise BD. Juste une occasion manquée.
"Transylvania", "Sur les traces de Dracula" T. 3 de Yves H et Dany. Casterman.

Voici le troisième tome de la saga imaginée par Yves H, suite de "Vlad l'empaleur" dessinée par son père Hermann et à "Bram Stocker" illustré par Sera. Cette trilogie se conclue avec le même scénariste qui a cette fois embauché Dany au crayon pour donner corps aux vampires très à la mode ces temps-ci en BD (au hit parade le vampire le plus célèbre se tire la bourre avec Jack l'Eventreur...).

Ceci dit, le dessinateur d'Olivier Rameau s'en tire assez bien pour clore cette trilogie, en fait des albums indépendants les uns des autres. Ce dernier opus a l'avantage d'être moins historique que le premier et plus fantaisiste que le second, et bien que Sera ait déjà poussé le plaisir un cran au dessus, il s'agit peut-être du meilleur tome d'une série un peu décevante.

On démarre ici sur une panne d'inspiration d'un dessinateur qui travaille sur... Dracula (le filon transylvanien commencerait-il à s'user?) et reçoit une invitation à se rendre en Roumanie avec sa compagne pleine de rondeurs : Dany ne se refait pas et apporte aussi un brin d'érotisme, ce dernier étant déjà bien net dans le roman original de Bram Stoker, ce qui donne un curieux cocktail de fantastique et de grivoiserie.

Et Yves H en garde encore sous la pédale puisque ce mordu de Dracula a effectué des repérages très précis en Europe centrale et qu'il se servira de sa documentation pour sortir en 2007 "Sur les traces de Dracula", un guide touristique à thème pour ceux qui en redemanderaient. Le troisième tome s'achève d'ailleurs sur des "extraits du journal de Dan", le personnage qui découvre la Transylvanie et ses charmes et qui ressemble fort à un avant-goût de ce futur guide.
"Les Enfants de la citadelle", "Tendre Violette" T6 de Servais. Casterman.

Violette est de retour dans l'un des meilleurs albums de la série. Toujours tendre mais sachant se défendre, se faire désirer des hommes sans jamais s'y attacher, à demi sauvageonne connaissant la forêt ardennaise comme sa poche, ne crachant pas sur une bouteille de vin. Bref, la mignonne a toujours ce qu'il faut pour énerver les "braves" gens en 1920.

Cette fois, Servais a choisi un décor inédit, la forteresse de Montmédy dans la Meuse, près de Longwy, abandonnée corps et bien après la Première guerre mondiale par les militaires français qui ont emmené à leur suite les neuf bistrots du village.

Au début du XXème siècle, il n'y reste que quelques personnes parmi des maisons dégradées, et ô joie pour Violette, un ancien compagnon du tour de France prêt à lui tendre les bras et même plus puisque affinités.

En 1920, l'ancienne citadelle conserve ses remparts, ses fossés dans lesquels Violette capture ses lapins au collet, mais aussi deux petites silhouettes et un vieux fou d'aristocrate. La belle va devoir démêler les fantômes du passé (le souvenir des Prussiens est tout frais) et encore une fois provoquer le scandale.

Cette citadelle est un personnage à part entière, terriblement mystérieuse, mystères dont il faudra attendre la seconde partie pour les percer.
Muchacho T. 2 (Muchacho) par Jean-Marc Lernould
"Muchacho" T2, de Lepage. Dupuis.

On s'était assis le cul par terre en lisant le tome 1 et force est de dire que le volume 2 n'amène pas à se relever. Le dessin reste exceptionnel mais Lepage a franchi un sérieux cap dans les couleurs, un domaine qu'il maîtrisait pourtant déjà à merveille. Quant au scénario, s'il est plus déroutant, il est aussi dru et fouillé.

Cette fois, Gabriel, qui se destine à la prêtrise, peintre et dessinateur de talent mais rendu génial par le père Rubén qui lui demande de soulever la peau des choses et de croquer des scènes d'un village du Nicaragua en pleine révolution sandiniste. Rubén penche évidemment pour la théologie de la libération qui souhaite se ranger du côté des pauvres plutôt que des amis nantis du dictateur Somoza et Gabriel, chargé au départ de peintre la fresque d'un chemin de croix dans une église, devra choisir son camp, et ses amours..

Lepage multiplie les dialogues chocs : "L'avantage des dictatures sur les démocraties, c'est que dans les dictatures.. on sait sur qui tirer", ou bien "Les révolutionnaires et les chrétiens ont le même but : le bonheur de l'homme sur terre". Ce qui n'empêchera pas Jean-Paul II, pape adulé, de condamner la théologie de la libération en 1983. Mais "Je ne mélange pas la foi et la religion, laquelle relève de la sphère publique" précise Lepage.

Gabriel choisira donc son camp et donnera à son Christ les yeux d'un guérillero qu'il a croisé. La suite a pour cadre la jungle, décor magnifique et vrai chemin de croix pour les Sandinistes en fuite devant une guardia haineuse, malgré des paysages époustouflants. On notera au passage le rôle trouble des Etats-Unis, une fois de plus intrusifs en Amérique centrale.

Signalons enfin que la révolution triomphera en 1979, malgré une phrase d'un guérillero : "La révolution est un combat toujours perdant, mais toujours renaissant. Lutter, c'est vivre".
Serge (Magasin général) par Jean-Marc Lernould
"Serge", "Magasin général" T2 de Loisel et Tripp. Casterman.

On sait depuis le premier tome que Loisel et Tripp ont travaillé côte à côte au Québec, puis main dans la main avec cette chronique de gens simples dans une pampa enneigée du Canada, une histoire qui continue de flirter avec un bonheur tendre dans ce deuxième volume.

On se rappelle que Serge Brouillet, motard canadien d'origine mais qui a bourlingué en France se fait dépanner par la veuve Marie Ducharme, ce qui jaser quelques grenouilles de bénitier. Le franco-canadien s'en sortira cependant en prouvant quelques uns de ses talents : savoir tuer un cochon, offrir une cuisine de rêve qui semble tout droit sortie du "Festin de Babette". Bref le bonhomme se rend vite indispensable d'autant que la quasi totalité des hommes du village travaillent dans les bois. Il y a aussi une idylle naissante avec la Marie qui tient le magasin général, l'épicerie à tout faire du hameau, mais là les auteurs avancent avec prudence et il faudra attendre le troisième volume pour savoir si la suite sera aussi angélique. Ce qui n'empêche pas Serge d'affirmer qu'il faut "savoir saisir le bonheur quand il passe. C'est souvent fait de petits plaisirs, le bonheur..".

Quant au jargon truculent, il est dû à un Montréalais, Jimmy Beaulieu.

Enfin, en début d'album, l'éditeur confronte les deux visions de la même planche par Tripp et Loisel : éducatif.
Duels (Au-delà des nuages) par Jean-Marc Lernould
"Duels", "Au delà des nuages" T. 1 de Hautière et Hugault. Editions Paquet.

Que les amateurs de vieux coucous ne fassent pas la fine bouche car un bandeau prévient d'entrée : "Au-delà des nuages" a obtenu le "prix de la meilleure bande dessinée 2006 décerné par l'Aéroclub de France". Certes, on ignorait que cela existait et ce n'est pas encore à la hauteur du grand prix d'Angoulême mais ce n'est surtout pas une raison pour clouer l'album au sol. On a au contraire un tome 1 très frais, une histoire d'amis puis de rivaux côté aviation d'autant que la fiancée de l'un des pilotes s'entiche de l'autre : ce qu'on appelle un beau triangle amoureux.

L'action se situe dans les années trente à bord de Caudron ou de Sikorsky, machines qui ont laissé des traces certaines dans le ciel de l'aviation. Une époque où on se dispute des courses et des records façon formule 1 et tandis que le second tome à venir pourrait voir se corser la rivalité qui règne entre les deux pilotes puisque la seconde guerre mondiale se profile.

Le dessinateur Romain Hugault est difficile à prendre au dépourvu par le réalisme de son dessin (il a déjà réalisé des ouvrages de référence sur l'aviation) mais on remarquera qu'il est aussi très doué en matière d'anatomie féminine..

Suite et fin dans le tome 2 "Combats".
Hurlevent par Jean-Marc Lernould
"Hurlevent", de Jérôme Deleers et Yves Leclercq. Casterman.

Les auteurs s'en donnent à coeur joie et avec beaucoup de liberté sur un sujet qui peut paraître ardu, la genèse des "Hauts de Hurlevents" d'Emily Brontë. Mais le scénario (Leclercq, qui a notamment "Conquistador" à son actif) et le dessin – et les couleurs – de Deleers (c'est son premier album !) donnent un charme très vieille Angleterre alors que l'action se situe essentiellement en Belgique.

Emily et Charlotte Brontë viennent y parfaire leur français contre quelques services. A Bruxelles d'abord, Emily, qui songe à son premier roman, accompagne Katherine, une aveugle d'une vingtaine d'année avec laquelle elle se lie d'amitié. Peut être plus si affinité.

On ne sait plus au juste si c'est la plume d'Emily ou le coeur de Katherine qui font éclore "Les Hauts de Hurlevent", même si l'auteur Brontë déclare : "Ecrire, c'est se dévoiler, se dénuder, s'exposer au regard des autres, aux cris, à la peur. C'est comme un combat."

Le dessin répond parfaitement au texte (d'ailleurs parfois absent de certaines planches) et les excellentes couleurs de Jérôme Dellers définissent une superbe ambiance de Bruxelles et de Bruges, sans compter des scènes campagnardes où on constate un grand travail sur la lumière.

Un récit sombre par sa teneur, flamboyant par son dessin. Eblouissant au total.
Bitam (La vie de Pahé) par Jean-Marc Lernould
"Bitam, "La vie de Pahé" T. 1. De Pahé. Editions Paquet.

Pour un auteur de BD africain, ce n'est pas si facile de percer, alors quand un Gabonais décide de dessiner son autobiographie prévue sur trois tomes, on se frotte les mains. Tout ceci à cause d'une rencontre entre Patrick Essono, alias Pahé, avec l'éditeur Pierre Paquet lors d'un festival de BD en Afrique.

L'astuce est de voir le jeune adulte raconter par le menu son enfance qui oscille entre un village africain plus que modeste et un séjour en France. Les moeurs africaines représentées par Pahé sont un régal, avec pour roi le système D (ainsi qu'un certain président Bongo surnommé "Papa", mais que l'on déconseille sur place de caricaturer..).

A suivre les premiers pas de Pahé à l'école primaire, pas tristes, puis sa première sortie à Libreville, la capitale du Gabon, avant enfin de rallier la France dans les années 70. Là, c'est la découverte des HLM, de la télévision où Claude François chantait encore en direct avant de faire l'électricien, la connaissance des voisins aussi car, contrairement au Gabon, on exige le calme. Puis il y a la première neige, la Mère Denis, l'autorité du gardien du parc et de nouveau l'école où les enfants s'exclament "Il est tout noir !" (les cités françaises ne connaissaient pas vraiment la mixité d'aujourd'hui).

Enfin vient le retour au Gabon où Pahé est cette fois traité de "blanc". Bref les allers et retours entre l'Afrique et la France ne manquaient pas de sel à cette époque et les photos de famille publiées en fin d'album sont jubilatoires.

La comédie se mêle au sentiment sans cacher des sentiments très sérieux. On se sait pas ce que vont donner les deux prochains volumes lorsque Pahé grandira, mais celui-ci peut aussi être mis dans les mains des enfants.
La sirène des pompiers par Jean-Marc Lernould
"La Sirène des pompiers" de Hubert et Zanzim. Editions Poisson Pilote (Dargaud).

Drôle de titre. Qui convient d'ailleurs parfaitement à l'originalité de l'album. Par "pompiers", il faut entendre ici les peintres qui faisaient autorité il y a un peu plus d'un siècle, accompagnés de critiques adéquats veillant dûment à la norme et aux "maîtres étalons" de l'époque.

Justement l'un des juges en beaux arts qui est censé faire la pluie et le beau temps se fait désavouer sur la place publique depuis qu'un certain artiste, le dénommé Gustave Gélinet, accomplisse une percée spectaculaire sur le marché de l'art. "Un mulet qui se transforme en étalon" s'étonne le critique Fulmel devant un tableau représentant une sirène. Or l'artiste ne peint que ce qu'il voit et la sirène tourne bel (belle) et bien en rond dans son bocal avant de subir les peintres pompiers et pompeux lors des vernissages. La muse et son peintre tiendront-ils la distance ?

En prime de sa singularité, d'un scénario brillant et d'un dessin très plaisant, l'album propose des bonus sur le fameux "peintre aux sirènes", avec des reproductions d'huiles sur toile et des croquis préparatoire.
Le général fantôme (Empire) par Jean-Marc Lernould
"Le Général fantôme", "Empire" T1. De Pécau (scénario), Kordey (dessin) et Chuckry (couleurs). Delcourt.

Delcourt continue de faire joujou avec l'histoire avec "Empire", une série qui appartient à la "Série B" dans la collection Néopolis et qui joue dans la cour de l'uchronie, à savoir un léger décalage qui peut engendrer de grandes conséquences sur nos misérables existences, le tout mâtiné du "julesvernisme" très mode. Sauf que le Jules était un précurseur alors que la série effectue un beau salto arrière.

On vous refait l'histoire : en 1815, Napoléon Premier conquiert la Turquie, l'Afghanistan puis l'Inde : un rêve de présidents américains (mais on répète, c'est de l'uchronie, pas de la vraie histoire..).

Et on y mêle allègrement Surcouf, une machine Enigma qui a été inventée par les Allemands dans les années quarante, Dracula et un poète qui parle de djinns et des lutins du petit peuple. Encore heureux qu'il y ait une trace d'humour avec l'évocation d'un pauvre type parti faire le tour du monde en 80 jours mais qui finit dans la casserole des anthropophages, sans parler de Frankenstein et des Thugs, des assassins très à la mode.

L'album n'est pas déplaisant mais on sent que la collection tire un peu trop sur la ficelle de ce décalage historique, déjà très utilisé en BD. Avant de revisiter le passé, il va falloir songer à l'avenir. La série est prévue en trois tomes.
Dix de der par Jean-Marc Lernould
"Dix de der" de Didier Comès. Casterman.

Pour ce dernier Comès, on reste dans les Ardennes belges, son lieu de prédilection et son décor préféré, mais c'est la première fois qu'il aborde le thème de la guerre, bien que le fantastique soit toujours très présent.

L'histoire se joue lors de la contre-offensive des Allemands en décembre 1944, avec un trait noir et blanc strictement rigoureux mais qu'il sait parfaitement décliner en pointillisme comme pour les scènes de neige.

Comme d'habitude donc le réalisme ne fait pas toujours la loi et un pauvre troufion, "le bleu", se trouve à creuser sa petite tranchée au pied d'un calvaire. Mais il s'aperçoit vite que son trou est déjà habité par trois fantômes qui passent leur temps à jouer à la belote, désespérant de trouver un quatrième. On voit ainsi apparaître un crâne borgne, un uniforme prussien vide de tout corps, quant au Christ crucifié sur la croix, il profite de sa position supérieure pour tricher.

Et voilà que nos trois spectres, un peu pochtrons sur les bords, se prennent d'affection pour "le bleu", de même que deux autres fantômes qui vont et viennent, "le Curé" et "le Sacristain", autrement dit deux corbeaux péteurs à leurs heures. La chatte Arsouille vient également délivrer ses messages prémonitoires cependant que les hommes sont hachés par les mitrailleuses : la nuit de Noël ne sera pas une trêve, malgré le petit sapin envoyé par sa mère au GI américain, alors que les Ardennes en regorgent. C'est l'art de Comès de mêler l'humour avec l'horreur de la guerre dans une région qui a été particulièrement dévastée. Et l'un des corbeaux fantômes de demander à son compère : "Et Dieu dans tout ça ?". "Qui ?" répond l'autre.
20 précédents - 20 suivants
 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio