C’est la fin (effectivement terrifiante comme le vante un autocollant apposé sur la couverture) du somptueux récit concocté chez Futuropolis par le duo Dabitch/Pendanx, qui nous habituent à l’excellence, déjà présente au fil des pages d’ « Abdallahi ». En trois tomes étoffés (près de 80 pages chacun) les deux auteurs ont peaufiné un récit somptueux à partir d’un fait réel, donnant un caractère d’universalité à ce qui n’aurait pu demeurer qu’une tragique anecdote historique.
Au dix-septième siècle, Jeronimus fait office de pharmacien dans une ville des Provinces Unies (grosso modo la Belgique et les Pays bas actuels), mais, hérétique et accusé de pratiquer la sorcellerie, il se résout à l’exil en s’embarquant sur un navire de la puissante Compagnie des Indes Orientales. Le long et épuisant périple de ce bateau, parti pour les mers du Sud, est un condensé des souffrances humaines et un révélateur de toutes les perversions, et s’achève d’abord sur une mutinerie, puis par un désastreux naufrage sur des îlots désolés, au large de l’Australie. C’est là que va se dénouer l’histoire de Jeronimus, qui prend la tête de quelques dizaines de rescapés, hommes et femmes, mais qui se mue en véritable tyran, dans une folie semblable à celle d’Aguirre. La moindre opposition est résolue par l’assassinat, on achève les malades, bouches devenues inutiles, on viole les femmes. Jeronimus personnifie la tyrannie, incarne cet étrange cheminement qui fait qu’un homme ordinaire prend un tel ascendant psychologique qu’il devient maître de l’univers, même s’il se réduit à un misérable bout de sable.
Déjà forte en elle-même, cette histoire est transcendée par Dabitch et Pendanx, par un découpage inexorable et minutieux, par un graphisme qui fait de chaque case un tableau. Une recherche que l’on va jusqu’à retrouver dans les ombres de la quatrième de couverture : c’est sublime, de la première à la dernière page.